19, 20, 21 juin 1944 vu par alfred Mouchel
Figurez vous que les bêtes à cornes du pays quettehouais ne sont pas collaboratrices; vous allez en juger. La veille du départ, ces messieurs de la kommandatur avaient organisé chez un cultivateur du Val - vacher (nom prédestiné) ...un véritable simulacre de vol pour le cas où l'imposition projetée ne donnerait pas un résultat satisfaisant. En un rien de temps, la vacherie de cet éleveur fut amenée au lieu fixé et finalement relachée. Dans un pareil cas, l'imposé qui ne se serait pas conformé à cet ordre aurait manqué gravement à son devoir de solidarité; en le portant à plusieurs, le fardeau est moins lourd ! aussi dès réception du billet que m'apporte le garde champêtre, je n'hésite pas une seconde, s'il ne faut que cela pour les faire déguerpir, je vais donner la mienne de bon coeur.
Dans un clos mal clôturé, on nous ordonne d'y attacher nos bestiaux, naturellement nous le faisons plus mal que bien et cela va sans dire avec des cordes à demi pourries ou en papier. Résultat au cours de la nuit vingt et quelques sur une trentaine des condamnées à mort, pressentant sans doute leur fin prochaine, rompent leurs attaches et prennent illico la poudre d'escampette. La plupart guidées par leur instinct rentrent seules à la ferme de leurs propriétaires, la mienne, peut-être d'intelligence plus moyenne!... s'était trompée de ferme. Un voisin de mes amis lui avait bénévolement offert l'hospitalité.
L'incompréhensible bombardement de marins dirigé dans la nuit du 20 juin sur le paisible bourg de Quettehou, semble prouver que le repli définitif effectué par les Allemmands, la nuit du 19, n'était pas connu des libérateurs.
Un vent de panique communique la chair de poule à profusion, lorsque le cuirassé allongeant son tir, dévoile ses véritables intentions. Depuis le matin, à Saint -Vaast la Hougue, on a eu l'intelligence de hisser le drapeau blanc; puisque le calme y régnait, on s'apprête pour en faire autant à Quettehou. Un obus vient faire la visite dans l'atelier garage d'un mécanicien, puis presque sur le coup un autre dans le jardin du percepteur. Il n'en faut pas davantage pour stimuler l'initiative de quelques débrouillards et réduire les préjugés à retardement! vite, un grand drapeau tricolore étendu à claire-voie au milieu de la place et la pluie de fer s'arrête. Les agiles "cerfs-volants" piquent sur les toits, ils volent si bas qu'on dirait qu'ils vont descendre dans la rue! Un aviateur debout dans sa carlingue fait des signes amicaux -c'est fini - l'orage est passé.
On pavoise à Quettehou, à Saint Vaast, à Barfleur et dans toutes les bourgades du canton. L'allégresse est à son point culminant -oh ! entendons nous - une allégresse pondérée, saine, humaine, qui n'insulte en rien le malheur d'autrui.
Extrait de Jours d'angoisse et heures d'espoir par Alfred Mouchel de la société des écrivains normands, édité par l'Assocaition Alfred Mouchel paysan, peintre, poète normand